La semaine dernière à Genève, nous avons participé à l’événement AI for Good, notamment les conférences sur les systèmes d'alerte précoce (early warning systems ou EWS en anglais) enrichis par l’intelligence artificielle. En tant que membres du groupe de travail de l’UIT sur l’IA pour les EWS, nous avons assisté à des discussions et ateliers dédiés à l’utilisation de l’IA pour combler les lacunes des systèmes d’alerte. L’IA a le potentiel de renforcer les quatre piliers de l’initiative Early Warning for All. Voici quelques-uns des défis et des pistes de réflexion pour y remédier.
Pilier 1 : La connectivité pour tous
❌ La connaissance des risques constitue le premier pilier fondamental d’un EWS efficace. Pourtant, d’importantes lacunes dans les informations et évaluations des risques subsistent à travers le monde. Un constat récurrent est la profonde inégalité en matière de connectivité. Alors que certaines régions disposent de réseaux mobiles, radio et satellites performants, d’autres restent de véritables déserts de données. Dans certains pays, les cartes officielles datent de plus de 15 ans, alors même que la population a doublé entre-temps. Sans cartes actualisées et à haute résolution, il demeure impossible d’atteindre l’ensemble des communautés en cas de crise. De plus, les capteurs et infrastructures de surveillance sont souvent concentrés dans les pays riches, laissant les zones à risque et à faibles ressources gravement sous-équipées.
💡 Pour y remédier, l’UIT, Microsoft et l’Université de Washington ont présenté la Early Warning Connectivity Map (ECM), un effort commun visant à proposer un outil de cartographie combinant des données démographiques détaillées (à une résolution mondiale de 100 m x 100 m) avec une couverture étendue de connectivité en cas de catastrophe. Le résultat : une meilleure visibilité sur les populations isolées et hors du réseau d’alerte, permettant des actions ciblées.
Pilier 2 : L’enjeu de la collecte des données
❌ La prévision des risques en cascade, comme la sécheresse entraînant des vagues de chaleur par exemple, posent d’importants défis en matière de collecte, de suivi et de vérification des données. De nombreuses ONG et entreprises privées s’intéressent aux données des opérateurs mobiles, qui offrent une couverture nationale et des informations en temps réel sur la mobilité. L’accès aux enregistrements des données d'appel (Call Data Records ou CDR en anglais) est souvent sollicité, mais reste rare en raison de leur caractère sensible, de leur disponibilité limitée et de leur fiabilité variable.
💡 Plusieurs solutions prometteuses qui utilisent l’IA ont été présentées lors de la conférence : FloodHub de Google propose une surveillance prédictive des crues via des API ; The GEO Group a démontré des capacités de suivi de la Terre à l’échelle mondiale ; les « radars virtuels » d’Ignitia remplacent le matériel physique grâce à des systèmes de prévision pilotés par l’IA, permettant d’émettre des alertes météo extrêmes dans les régions mal desservies ; David Pastor a souligné le potentiel des données issues des réseaux mobiles pour identifier en temps réel les zones à risque : détection d’anomalies dans les signaux, informations tirées de l’intelligence collective, etc.
✨ Notre suite GeoSafe EWS, déployée à la fois au niveau des autorités et des réseaux mobiles, intègre de nombreuses sources de données, y compris celles des opérateurs. Intersec.AI enrichit l’analyse de ces données pour alimenter des workflows automatisés, déclenchant des alertes lorsque des seuils de risque sont dépassés ou que des mouvements de population inhabituels sont détectés.
Pilier 3 : Des alertes inclusives et de confiance
❌ Les alertes efficaces doivent être comprises et prises en compte par des publics variés. Dans les pays avec plusieurs langues officielles ou un fort taux d’analphabétisme, les messages textuels seuls sont souvent insuffisants ou incompris. Le Dr Johan Stander (OMM) a souligné l’importance de modes de communication accessibles, multiformats et multilingues, incluant des messages vocaux ou des visuels si nécessaire. Dans les zones touchées par les conflits, la confiance envers les alertes peut être fragile, souvent minée par des messages émanant d’agences météorologiques fragmentées.
💡L’IA apporte ici des solutions concrètes, allant du profilage des segments de population pour adapter les messages selon l’âge, la langue ou la perception du risque, à la validation et la traduction des alertes en temps réel. Des initiatives comme Daraja sont déjà actives au Soudan et en Éthiopie, œuvrant pour que même les populations les plus marginalisées reçoivent et fassent confiance aux alertes d’urgence.
✨Par nature, les données des opérateurs mobiles est fiable et infalsifiable, et les alertes basées sur les réseaux mobiles couvrent, la plupart du temps, la quasi-totalité de la population. À l’avenir, la collaboration entre ONG, agences internationales comme l'UIT, et partenariats public-privé sera essentielle pour une gouvernance inclusive et une mise en œuvre adaptée au contexte local.
Pilier 4 : La réponse aux crises
❌ Il y a très peu de données sur la gestion des situations de crise, notamment lors des évacuations. Sans données fiables sur qui se déplace, où et quand, il est difficile pour les chercheurs et les autorités d’entraîner des modèles d’IA ou de définir des procédures opérationnelles efficaces.
💡L'équipe Bibliotechies a présenté une solution technologique prometteuse alliant prévision des inondations, cartographie des impacts et simulations de scénarios grâce au machine learning. Au lieu de se limiter à prévoir les risques, leur modèle évalue les itinéraires d’évacuation les plus favorables ou critiques, aidant les intervenants humanitaires à planifier leurs actions et tester des scénarios liés aux évacuations, aux transferts monétaires ou au déploiement d’équipes mobiles.
✨Pour déployer de tels systèmes à grande échelle, des partenariats solides avec les services d’urgence sont essentiels. Ce n’est qu’en entraînant les modèles à partir de données de déplacement historiques et en temps réel que nous pouvons fournir des outils unifiés et dynamiques pour soutenir les interventions de crise, comme la gestion du trafic, l’ajustement des alertes en fonction de l’évolution des événements ou le déploiement efficace des ressources.
La synergie entre des données fiables et une IA avancée a le potentiel de générer un véritable impact à l’échelle mondiale. Chaque pilier des EWS repose sur la capacité à savoir, en temps réel, ce qui se passe sur le terrain, et chaque solution dépend de notre aptitude à cartographier et comprendre un monde en constante évolution. Bien que les données des opérateurs mobiles soient précieuses, elles ne suffisent pas à elles seules. Elles doivent être combinées avec des données ouvertes (open data), l’expertise académique et l’innovation du secteur privé. En résumé, fournir ces solutions boostées par l’IA aux autorités de protection civile, via des plateformes cloud fiables et sécurisées, est notre meilleure chance de ne laisser personne de côté, avant, pendant ou après une catastrophe.